Le nouveau grand maître du Grand Orient de France, Guy Arcizet, a été élu, hier, à Vichy au terme d'une journée rocambolesque. Il en faut plus pour déstabiliser ce calme médecin à la retraite de 71 ans, dont le visage respire la sérénité. Mais son élection pour une année renouvelable, à la tête de 50.000 membres de la première obédience française, a été l'une des plus tendues de ces dernières années.
Non pas tant en raison de la personnalité déterminée mais discrète du nouveau grand maître, mais parce que le contexte de cette assemblée annuelle de Vichy - un «convent» réunissant un délégué pour chacune des 1150 loges - a été agité et plus divisé que prévu.
L'équipe de Pierre Lambicchi, le grand maître qui quittait sa charge, hier soir, arrivé au terme de son mandat avait pourtant préparé avec beaucoup de soin un «rapport d'activité» lu, défendu et débattu hier matin en séance fermée. Ce bilan avait été peaufiné parce que l'année du Grand Orient avait été marquée par un âpre débat interne sur l'admission des femmes dans les loges et par de lourdes questions d'orientation. Ce convent devait donc ramener une certaine sérénité dans les rangs. Mais c'est le contraire qui s'est produit.
Premier coup de théâtre, hier après-midi, avec le rejet à 57 % du rapport d'activité. Fait rarissime à ce niveau. Voire «sans précédent» de mémoire des plus anciens francs-maçons présents. Personne, en tout cas, ne s'y attendait. Même lors de la crise sévère de 1995 le rapport d'activité avait été adopté.
Signe de défiance également - un membre de l'assemblée parle de «règlement de comptes» - et signal net venu des loges (qui élisent leur représentant pour cette assemblée souveraine) pour exprimer le malaise actuel chez les membres du Grand Orient. L'un d'eux expliquait hier soir à Vichy: «On a beaucoup entendu en séance de reproches sur la façon de diriger l'obédience et sur le manque d'implication sociale et sociétale du Grand Orient.»
À ce point de blocage, le règlement interne du convent prévoit le recours à un «débat de censure» suivi d'un vote de confiance vis-à-vis de l'équipe dirigeante. Et là, le second coup de théâtre, s'est produit: ce vote de censure a été adopté à 50,5 % des voix… Certes, la défiance n'atteignait pas le chiffre fatidique de 66 %, qui aurait alors vu la remise immédiate du mandat des trente-cinq membres du conseil de l'ordre (l'organe suprême de décision) et ouvert une crise grave, puisque l'élection du nouveau grand maître aurait été compromise, mais l'alerte était sérieuse.
«Quête de transcendance»
Ce n'est donc que tard, hier soir, que le conseil de l'ordre a pu élire le nouveau grand maître en la personne de Guy Arcizet. Ce médecin généraliste qui a fait toute sa carrière dans le «93» a une expérience de terrain des problèmes sociaux. Il est donc de ceux qui veulent que le Grand Orient, «corps intermédiaire de la République», revienne au cœur des questions sociétales. Il prône même «un virage social» de l'obédience pour qu'elle retrouve «le troisième pilier» de la laïcité qui est «l'égalité des chances» avec «la liberté de conscience et la séparation des Églises et de l'État».
Il voudrait aussi un Grand Orient moins «en défensive», notamment sur les questions classiques de la laïcité, mais plus engagé pour une «éthique laïque de solidarité» avec des «propositions» sur «l'alteréconomie» et sur l'écologie. Une obédience sans pudeur non plus quant à la «spiritualité laïque» de la culture maçonnique qui répond à une «quête de transcendance, d'égalité et de transmission».
Ce matin, Guy Arcizet va présider sa première séance de convent, et pas la moindre. Il s'agit de voter une nouvelle fois sur la question de l'admission des femmes dans les loges. Le convent de Lyon, il y a un an, avait rejeté cette perspective. Décision annulée, par voie de règlements internes cet hiver, qui a finalement autorisé les loges du Grand Orient à initier des femmes. Mais ce convent, «organe souverain », pourrait ce matin revenir sur cette ouverture, en définissant statutairement le Grand Orient comme une obédience maçonnique «masculine».
Fonte : Le Figaro
Médecin à la retraite de 71 ans, Guy Arcizet (ici à Paris en 2006), a fait toute sa carrière dans le « 93 » et connaît de près les problèmes sociaux. Crédits photo : SIPA |